Une Collectivite Libertaire Agraire en Espagne
LOS ARENALEJOS
Une Fondation pour l'ecologie sociale

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Le Monde Libertaire 19 avril 95

DANS quelques jours, la collecti-
vite' Los Arenalejos aura cinq
ans, comme projet libertaire et
e'cologiste. Elle est loin d'etre adulte,
et l'avenir nous dira si elle atteint
l'adolescence ou n'en n'est qu'a ses
premiers balbutiements avec tous les
risques que cela comporte.
  Tout commenca il y a neuf ans,
apres un ras-le-bol d'une socie'te', qui
pour la re'alisation de tout un chacun
nous propose la prostitution, la
compe'tition ou bien, comble de
l'institutionnalisation tranquille de
ses valeurs, l'administration. A
l'horizon aucun imaginaire social
bien re'jol@issant. En tout cas rien de
bien =AB pratique =BB parce que meme si
les paradis (libertaires ou autres) ne
manquent pas, c'est toujours pour le
futur, ce non sens, qui n'existe pas et
qui, le plus souvent, est e'crase' et
condamne' par le pre'sent. Au bout de
trois mois, dans des conditions tres
dures, nous n'e'tions plus que six:
cinq adultes et un enfant. Puis
d'autres enfants arriverent. D'abord
une petite fille. Joie et beaute' en
plus. Qu'allait-on leur offrir sur cette
=AB enclave =BB de quinze hectares ? Nous
avions besoin d'une cohe'rence pour
le fonctionnement de raMorts que
nous voulions e'galitaires et harmo-
nieux au sein du groupe, sensibles et
biologiques quant a la terre et la
nature. Et meme si nous avions de
bons rapports avec les voisins des
villages, cette cohe'rence n'en serait
pas une si elle restait enferme'e entre
nous-memes au milieu de la plus
belle des natures et la plus satisfai-
sante des activite's. Nous risquions
d'e'touffer, de nous recroqueviller.
Restait a trouver la charniere qui
nous ouvrirait au reste du monde.
Apres un de'bat sur un fond de
pratique, qui dura trois ans, c'est
dans la =AB tradition =BB anarchiste que
nous trouv=E2mes le fil conducteur:
Kropotkine, Elise'e Reclus, les
naturalistes libertaires espagnols et
les re'alisations collectivistes de
1936-1939 en passant par 1968 pour
arriver jusqu'a Murray Bookchin.
Notre projet prenait racine et corps:
il s'inscrivait, tout comme celui de
Comunidad del Sur (Uruguay) dans
un parcours communaliste liber-
taire, partie inte'grante du projet
d'e'cologie sociale. Ce n'est pas triste:
la difficulte' en fait tout son inte'ret.
Comment cre'er une contre-culture
vivante, riche varie'e et complexe
comme la vie elle-meme, si ce n'est en
s'enracinant dans le quotidien de
facon a pre'parer les bases pour une
socie'te' e'cologique qui ne peut qu'etre
libertaire ?
  Un imaginaire social de libe'ration
ne peut plus se nourrir d'une
ple'thore verbale a l'image du
discours politique. Il nous faudra
bien de'passer le pamphle'tarisme
caracte'ristique du mouvement liber-
taire si nous voulons se'duire, car il
n'y a pas de cre'ation sans se'duction
pre'alable. Le recherche devra
s'e'tendre dans tous les domaines
inter-de'pendants, et c'est peut-etre
celui des relations qui nous ouvnra
les portes de la =AB connaissance =BB. Car,
ce sont bien les relations qui, de'ter-
mine'es par la socie'te', risquent a leur
tour de remodeler sa structure. Celle-
ci n'e'tant, somme toute, que la
somme et la maniere dont s'articu-
lent ces relations.
  Kropotkine disait que l'origine de
l'exploitation de la nature se trouvait
dans l'exploitation de l'homme par
l'homme. Mais cette derniere ne
commence-t-elle pas et ne se
perpe'tue-t-elle pas dans la domina-
tion de l'enfant par l'adulte ? N'est-ce
pas dans l'inconscient (les deux tiers
de la personnalite', dit-on) que
s'installent les valeurs piliers de cette
socie'te' par l'organisation de la
carence dans l'abondance ? (1)
Surtout la notion de proprie'te', qui est
a l'origine de l'agressivite', le nerf de
l'e'conomie (guerre) capitaliste.
  Ces re'flexions, ne'es de nos difficul-
te's relationnelles in situ avec les
nombreux visiteurs et le peu de
candidats a l'inte'gration, nous ont
permis de comprendre que le succes
d'une re'volution, certes indispen-
sable, ne sera pas le fruit, comme
d'aucuns l'annoncent d'une facon
simpliste, d'un changement des
seules macrostructures. De plus, s'il
est relativement facile de s'unir
contre et autour d'un drapeau, il en
va tout autrement de s'unir pour
cre'er. D'ou l'indispensable change-
ment parallele des microstructures
psychiques qui de'terminent nos
comportements. Et c'est sans doute
dans la premiere enfance que se
situe la clef de ce changement, d'ou
l'importance de notre activite' cultu-
relle ve'cue ici a Los Arenalejos en
faveur d'une grossesse de'sire'e, d'une
naissance a la maison et d'une
relation amoureuse sans entrave
entre l'enfant et la mere (1 et 2).
  Les bases d'un etre humain
nouveau, avec une infinie confiance
dans la vie et ses propres capacite's
relationnelle@ e'tarit p@e'es, i@-no@
faut ensuite, avec beaucoup d'atten-
tion, apporter les =AB mate'riaux =BB
ade'quats, les plus riches et les plus
varie's possible pour qu'il ou elle se
construise. C'est tout le but d'une
pe'dagogie libertaire qui s'adresse
non seulement a l'enfant mais e'gale-
ment a l'adulte, pour apprendre a
devenir le plus autonome possible,
car c'est aussi gr=E2ce a notre capacite'
cre'ative que nous devenons libres de
faire le choix de nos solidarite's. C'est
ca l'e'cole de la vie.
  Voici donc re'sume'es tres brieve-
ment huit anne'es de re'flexions au
milieu d'une activite' (trop) intense
tous azimuts. Il nous aura fallu huit
ans pour restaurer le =AB cortijo =BB, un
ancien moulin a huile d'un e'tage et
d'une surface au sol de 150 m2,
monter un atelier de ce'ramique avec
ses deux tours et un four a gaz de

un metre. Le tout e'claire' par une
e'olienne et des panneaux solaires.
Ces infrastructures sont ne'anmoins
insuffisantes, car nous avons bien
compris que si nous voulions vivre
ensemble a plusieurs =AB familles =BB, un
espace propre et inde'pendant pour
chaque unite' devient indispensable.
C'est la fonction des maisons indivi-
duelles que nous pensons construire
prochainement. Dans ce cas, l'espace
commun devient un centre d'accueil
d'he'bergement, pe'dagogique et en
meme temps un centre productif. la
production et la pe'dagogie se situent
e'galement dans cet autre espace
commun que sont les terres, avec
leurs 1 500 oliviers semi-abandon-
ne's sur onze hectares en sec. Les 250
avocatiers, manguiers sur trois
hectares. Le tout cultive' en agricul
ture biologique, avec tendance a la
permaculture.
  Mais nous nous devons d'insister
sur le fait que lorsque nous parlons
de nos re'alisations celles-ci ne sont
pas seulement le fi@uit des six adultes
et des trois enfants qui habitent a
Los Arenalejos. La aolectividad, ou
suivant notre prochaine de'nomina-
tion ofrlcielle, la =AB Fundacion Los
Arenalejos (para la in@eBtigacion y el
desarrollo de la Ecologia Social) =BB,
c'est aussi un vaste re'seau de
camarades. Au tout de'but, nous
appuya politiquement parlant
l'actuelle CGT, qui s'effa@a tres vite
pour laisser la place a la CNT, gr=E2ce

 a laqllelle no@lS p=FBmes acq@le'rir lln
tracteur. Nous restons en collabora-
tion tres e'troite et continuons d'avoir
l'appui direct de nombre de ses
affilie's. Nous avons des amis intimes
dans l'ex-=AB Asociacion Antipatriar-
cal =BB, avec lesquels la relation reste

  ir@ter@8e @o@ po@vor@ dire s@r@
pre'tention que nous sommes une
re'fe'rence pour de nombreux groupes
libertaires et e'cologistes d'Espagne.
La Fondation, c'est donc les gens qui
vivent dans la collectivite' ceux qui
de'cident dans l'espace dans le cadre
des statuts et des normes internes
plus les membres exte'rieurs impli-
que's (une vingtaine actuellement)
d'une facon ou d'une autre. Sa
vocation, comme son nom l'indique,
c@est la recherche et la dif@usion de
l'e'cologie sociale par tous les moyens
possibles et imaginables, le premier
e'tant e'tant notre propre pratique.
Suivent les stages (3), sur les themes
des enfants, des relations, de la
sante'; le the'=E2tre et la cre'ation d'un
athe'ne'e libertaire au village... le
tout inclus et articule' dans une
grande cohe'rence.
  La priorite' sera donne'e a ces
activite's, mais, parallelement, nous
cherchons une consolidation de la
collectivite' par l'accroissement
progressif de ses membres par une
approche et une connaissance
mutuelle a partir des activite's et non
plus seulement de fa@on ide'ologique.
Nous avons une capacite' potentielle
d'accueillir et faire vivre de vingt a
trente personnes.
  Mais nous ne voulons pas en rester
la. Notre propos, certes ambitieu@
c'est la cre'ation d'une communaute'
de communaute's, comme disait
Kropotkine, afin de tisser cet indis-
pensable re'seall du quotidien liber-
taire, ce bouillon de culture vivant
fait de toutes ces diffe'rences qui n'en
finissent pas de s'enrichir. C'est
peut-etre ca que nous avons
commence' avec l'e'cole libertaire
Bonaventure de l'=EEle d'Ole'ron. -


(1) L'anti-OEdipe, G. Deleuze et F. Guat-
tari, e'ditions de Minuit.
(2) Pourquoi la sou@rance ?, Stettbacher,
e'ditions Aubier.
(3) Nous publions une revue trimes-
trielles, La Hoja, ou nous e'voquons le
fruit de nos recherches et racontons nos
activite's sur place.
N.B.: Colectividad =AB Los Arenalejo@ =BB,
 lir@ta de oo@-@reo., A@oz@   95ff7
(Malaga) Espagne. Te'l.: 9.08.05.42.08.